Jeudi 7 juillet

Le sondage

La magistrature bulgare de plus en plus désabusée sur la réforme du système judiciaire et sur les perspectives d’améliorer l’Etat de droit en Bulgarie

606 magistrats ont été interrogés pendant la période mai-juin 2016 sur la réforme du système judiciaire et les amendements à la loi sur le pouvoir judiciaire par l’agence sociologique Global Metrics à la demande de l’Institut bulgare d’initiatives juridiques (BIPI) en vue de la réalisation d’une étude sur la perception et l’évaluation des réformes du système judiciaire bulgare par les magistrats, réalisée dans le cadre du projet « Initiative pour des nominations transparentes ».

Selon cette étude présentée hier, deux tiers des magistrats estiment que les réformes du système judiciaire pendant les deux dernières années sont « de petite portée et de résultats non tangibles ». Seulement 8-9% voient des évolutions positives et des résultats tangibles.

Les sondés mettent en avant parmi les problèmes à résoudre : l’évaluation des magistrats, les dispositifs de promotion, la pression extérieure dont souffre le système et le recours tendancieux aux sanctions disciplinaires.

73% des procureurs érigent en principal problème la procédure pénale trop formelle et 19%, la limitation de leur conviction interne et de leur indépendance. Ces problèmes sont deux fois plus fréquents chez les magistrats du parquet que chez ceux du siège. 40% des procureurs et 34% des juges reconnaissent avoir reçus des consignes orales de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Le principe de l’attribution aléatoire des affaires n’est pas respecté selon 10% des magistrats. 34% mentionnent avoir entendu parler des cas de non-respect de ce principe.

La plupart des magistrats (entre 68% et 80% des magistrats en fonction des concours) considèrent que les concours ne sont pas mis en œuvre sur la base de critères objectifs et ne permettent pas la sélection des meilleurs pour un poste donné. Cela vaut tant pour la nomination de responsables administratifs et la promotion des magistrats que pour l’accès initial à un poste de magistrat.
« L’étude démontre que les dispositifs de promotion au sein du système judiciaire sont fortement biaisés. Plus de 70% des magistrats interviewés considèrent que ce ne sont pas les meilleurs professionnels qui sont promus », soulignent les auteurs de l’étude.

La procédure disciplinaire fonctionne à deux vitesses.72% des juges et 60% des procureurs constatent l’absence d’objectivité dans la mise en œuvre des sanctions. 45% des magistrats du siège considèrent que l’Inspection des services judiciaires fonctionne comme un outil de règlement de comptes et crée ainsi des conditions favorisant la pression sur le système judiciaire. En revanche, le même pourcentage de procureurs considère que l’ISJ fournit les garanties nécessaires à l’identification des irrégularités et « purifie » le système. L’opinion des juges et des procureurs diverge également concernant l’élargissement des pouvoirs de l’ISJ par les derniers amendements constitutionnels. Les nouvelles attributions de l’ISJ favoriseront encore la pression sur le système judiciaire selon 53% des juges, alors qu’elles constituent selon 31,5% des procureurs une garantie contre les irrégularités au sein du système. Cependant les magistrats rejettent unanimement la proposition que l’ISJ procède à des contrôle sur le fond de leurs actes. Ils sont plutôt opposés à ce que l’IJS vérifie les enregistrements audio des audiences.

49% des juges et 29% des procureurs associent le fonctionnement de la commission de déontologie auprès du CSM à des règlements de comptes. En revanche, 38% des procureurs apprécient son fonctionnement.

L’étude démontre que les magistrats du parquet et du siège souhaitent participer à l’administration du système judiciaire et à la prise de décisions concernant son développement : représentation des magistrats dans le cadre des procédures disciplinaires, élection directe des membres du CSM du quota professionnel, participation à la discussion de projets de loi, suppression ou diminution du quota professionnel du CSM, élection directe par les magistrats des président des deux cours suprêmes et du procureur général.

Les magistrats restent plutôt sceptiques concernant le rôle de la stratégie relative à la poursuite de la réforme judiciaire pour un réel changement dans le fonctionnement du système. Près de la moitié des magistrats admettent que la mise en œuvre de la stratégie puisse conduire à l’amélioration du fonctionnement des autorités de justice. Cependant, la plupart considèrent que le projet d’amendements législatifs ne fournit pas les garanties nécessaires pour qu’un nouveau modèle de comportement au sein du pouvoir judiciaire voie le jour.
La perception du mécanisme de coopération et de vérification est intéressante : 52 % des juges et 27% des procureurs considèrent que son maintien est utile. La part des procureurs le soutenant il y a deux ans (49%) enregistre une baisse, constatent les auteurs de l’étude. La comparaison des données des études en 2014 et en 2016 démontrent la hausse du scepticisme parmi les représentants du parquet sur l’ensemble des questions posées.

La publication de cette étude intervient un jour après l’élection de Daniela Dontcheva, vice-présidente de la Cour d’appel de Sofia, à la tête de cette même cour après cinq tentatives infructueuses. Selon Krassen Nikolov de Mediapool, cette nomination démontre que pour être élu il ne faut pas être publiquement soutenu par ses pairs mais déclarer aimer le CSM et le procureur général, affirmer que le siège est indépendant et ne pas susciter la défiance du premier ministre. Cette conclusion du journaliste s’appuie sur un tableau comparant la candidature de Daniela Dontcheva à celle de Nelly Koutskova, juge et responsable expérimentée candidate malheureuse à deux reprises à la présidence de cette même cour, soutenue par 66% des juges de la Cour mais non approuvée par le CSM à cause de ces positions critiques à l’égard du fonctionnement du système judiciaire et de son activisme pour un système judiciaire indépendant (voir nos revues du 4 mai et du 18 décembre 2015). (mediapool.bg, bili-bg.org, Sega)

Le scandale

La réaction du ministre de la culture après une émission de télévision qui critiquait sa politique relance le débat sur les relations entre pouvoir et médias

Suite à une émission critique de la BNT du 30 juin consacrée aux amendements à la loi concernant la protection du patrimoine culturel largement contestés, le ministre de la culture Vejdi Rachidov a envoyé un droit à la réponse à la BNT visant Gueorgui Anguelov, journaliste et animateur de l’émission « La journée commence avec la culture ». Dans sa réponse le ministre conseille au journaliste de ne pas critiquer si souvent le gouvernement, notamment son ministère, en lui rappelant que c’est l’Etat qui lui verse son salaire. Cette lettre a provoqué une vague d’indignation de certains médias et dans les réseaux sociaux : l’Association des journalistes européens et l’Association des journalistes francophones ont même demandé la démission du ministre. Aujourd’hui les médias ont annoncé qu’un des invités dans l’émission qui avait critiqué le travail du ministère, le peintre Vlado Roumenov, a été licencié de la Galerie nationale des beaux-arts.

« Orwell [souffre] d’un manque d’imagination » - titre Sega sur ce nouveau scandale médiatique. L’affaire a de nouveau soulevé les rideaux du sale jeu que le pouvoir joue avec les médias, estime le quotidien. « Les représentants du GERB souffrent d’une forte allergie à la mise en évidence des faiblesses de leur manière de gouverner ». L’invitation de gens critiquant le pouvoir est considéré comme un pêché. Une caricature a déclenché « une censure de masse » (voir notre revue du 14 avril) et les menaces de saisine du tribunal sont « une approche courante pour fermer la bouche » des journalistes. De ce fait, le journalisme critique sérieux et la liberté de la presse sont remplacés par les services de relations publiques et les éloges sous pression. La censure, l’autocensure, le manque de regard critique, la comm’, la peur sont profondément enracinés dans les médias publiques et la plupart des médias privés, écrit Sega.

La situation est tragique, selon le journal, qui note que 90% des médias sont financés par l’Etat – certains de manière officielle, par le budget, et beaucoup d’autres, derrière les coulisses, par le financement des programmes de communication et des fonds européens [l’utilisation de subventions directes et indirectes afin d’exercer une pression sur les médias critiques et de récompenser les fidèles a été soulignée à maintes reprises y compris dans un rapport du Conseil de l’Europe, voir la revue du 24 juin 2015. Cette pratique qui fausse le paysage médiatique en soutenant certains médias dociles au régime a été également critiquée dans un rapport de l’Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information (WAN-IFRA). L’organisation avait qualifiée ce phénomène de « censure douce », voir la revue du 6 mai 2015].

Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui n’ont même pas besoins d’un ministère de la vérité, ironise Sega en faisant allusion au roman 1984 de George Orwell. « Ils effacent la réalité et prêchent leur propre réalité tordue quotidiennement du haut de l’ambon des chaînes de télévision les plus regardées… L’insolence des représentants du pouvoir est devenue si grande qu’ils sont persuadés de leur droit d’exiger des médias de tenir compte d’eux et de les menacer », souligne Sega.

Le commentaire est illustré d’une caricature de Hristo Komarnitski qui représente M. Rachidov, assis sous un grand panneau digne de l’époque communiste. Sur le panneau on lit : « Parmi tous les arts, le plus important pour nous est de passer à la télévision », signé BB. (Sega, mediapool.bg)

La meute

L’équipée sauvage des Hell’s Angels subventionnés de Poutine a traversé la Bulgarie

« Les Loups de la nuit », club russe de rockers motards connu pour sa proximité avec le Kremlin et la participation du président de Russie Vladimir Poutine lui-même à beaucoup de ses événements, a lancé il y a deux semaines une marche à moto « Monde slave 2016 ». Partie le 23 juin de Russie, la marche s’était divisée en cinq colonnes qui ont traversé douze pays (12 000 km au total) avant de se réunir hier à Nitra, en Slovaquie. Une de ces colonnes est passée par la Bulgarie fin juin.

La visite à Bourgas et la traversée du pays (Kazanlak, l’église russe à Chipka, le monastère de Troyan) n’est pas passée inaperçue. Un groupe de protestataires à Bourgas, réunissant des ressortissants russes et ukrainiens résidant dans cette ville, s’est fait attaquer par des sympathisants en tenue de camouflage de l’organisation « Union militaire bulgare », venus saluer les « rockers de Poutine ». Sur la route de Kazanlak, un groupe de motards bulgares, appartenant aux clubs « Les Bœufs » et « Brothers from Hell » s’est joint aux Russes après leur avoir offert du pain et du sel – symboles traditionnels slaves d’hospitalité.

A Sofia, les hôtes étrangers (25 au total) se sont rendus à la cathédrale St. Alexandre Nevski. Deux groupes d’admirateurs et d’adversaires de Vladimir Poutine, chacun d’environ 200 personnes, les y attendaient pour un échange verbal tonitruant. Un peu plus tard, des militants d’Ataka se sont joints aux thuriféraires de M. Poutine. Sur le parvis de la cathédrale, les rockers ont été salués par un prêtre, aux sons de l’hymne russe.

Selon Andreï Bobrovskiï, un des organisateurs de la marche à moto « Monde slave 2016. Routes de la victoire », le projet vise à renforcer le dialogue entre les peuples slaves, à rappeler l’histoire commune, à empêcher l’Occident de « compromettre la diplomatie populaire ».

Les « Loups de la nuit », dont le premier club date de 1989, regroupent des nationalistes russes particulièrement actifs, rappelle Dnevnik. Généreusement financés par le Kremlin, ils sont appelés par la presse gouvernementale « patriotes orthodoxes » et par celle d’opposition « la bande de loups de Poutine ». D’après des analystes russes, il s’agit d’un format typique de milice paramilitaire et progouvernementale. Tous les ans, les « Loups » organisent des marches et des rassemblements nationaux près de Sébastopol et participent massivement à des défilés et des événements organisés par le Kremlin. A l’étranger, ils se sont fait connaître par des marches comme « Vers Berlin ! » et « Sur les pas de la gloire militaire », ainsi que par une visite de recueillement au Mont-Athos.

Ces clubs de motards sont financés par des dons, mais aussi par une importante structure économique bien implantée dans toute la Russie et gérée par leurs membres. Celle-ci inclut des garages de réparation, magasins, restaurants, commerce de spiritueux, sociétés de gardiennage et de transport, agences de détectives, etc. Toutefois, les subventions versées directement par le gouvernement « pour la mise en œuvre de la diplomatie populaire et la popularisation des valeurs historiques et culturelles de la Russie et de l’orthodoxie russe » priment sur les recettes de l’activité économique. A ces financements s’ajoutent des dons de la part d’organisations comme l’Union des femmes, l’Union des retraités, etc. En outre, les « Loups de la nuit » sont grassement payés par des institutions gouvernementales pour l’organisation de fêtes de fin d’année ou des rassemblements de jeunes. A cette fin, ils ont reçu « à bail » un terrain public particulièrement prisé sur une île de la Moskova et un autre aux environs de Sébastopol (266 ha pour un prix 99,9% au-dessous du prix de marché) où ils tiennent leurs rassemblements annuels. Selon 24 Tchassa, ils figurent également sur la liste des dons qui seront distribués par le Kremlin à des ONGs en 2016 : les 100 000 euros qui leur sont octroyés doivent être utilisés pour le spectacle géant, « Le cinquième empire. Arche de Noé » que les « Loups de la nuit » donneront en août à Sébastopol.

« Du kitsch mêlant rockers, fitness, slavisme et orthodoxie », souligne Spas Spassov dans un commentaire pour Capital Daily. « Une version démo de toute la stratégie ‘orthodoxe’ et ‘ethno-linguistique’ de M. Poutine visant l’annexion de l’ancien bloc communiste à son projet eurasien. Et la besogne n’a été accomplie qu’en deux jours, sans la moindre résistance de la part de l’Etat bulgare ». (dnevnik.bg, mediapool.bg, 24 Tchassa, Capital Daily)

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Dernière modification : 07/07/2016

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