Mardi 5 avril

La bande-annonce

Panama Papers : une soixantaine de Bulgares impliqués

La révélation ce week-end d’une investigation journalistique globale, conduite par 370 journalistes de 109 médias de 76 pays, bouleverse le monde. Menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (CIJI), elle porte sur l’analyse d’une mégabase de données constituée au fil des années par le cabinet d’avocats panaméen Mossack & Fonseca, spécialisé dans les services financiers offshore. Il y a un an, un lanceur d’alerte avait déjà divulgué une petite partie de ces informations au fisc allemand et au quotidien Süddeutsche Zeitung.

Dans ce travail de bénédictin, qui a englobé 214 488 compagnies enregistrées dans 21 zones offshore par des clients de 204 pays, la Bulgarie est également présente. D’abord, via la participation de 24 Tchassa à l’investigation menée par le consortium international. Ensuite, à travers les ressortissants bulgares dont les noms surgissent des dossiers épluchés.

24 Tchassa annonce à la une, avec fierté, sa collaboration au projet du CIJI. Au sein de l’équipe internationale d’investigation, la journaliste Alexenia Dimitrova de ce quotidien était la seule Bulgare ayant eu accès à la base de données.

Pour l’instant, aucun nom de politicien bulgare n’est sorti des documents panaméens parmi les actionnaires de sociétés offshore. Selon Alexenia Dimitrova, les noms de quelque 50 compagnies, 6 sociétés ayant servi d’intermédiaires, 16 propriétaires et 78 actionnaires renvoient à la Bulgarie. Les adresses indiquées au moment de l’enregistrement des entités offshore couvrent plus ou moins tout le pays : Sofia, Plovdiv, Bansko, Pleven, Stara Zagora, Varna, Sevlievo, Pravets, Montana, Sozopol, Panagurichté, Gabrovo, Roussé. Les immatriculations se sont faites en prédilection dans quelques paradis fiscaux : les Bahamas, les îles Seychelles, Anguilla, Panama, Niue et les îles Vierges britanniques. Parmi les personnes physiques (environ 150 personnes au total, selon Standart) figurent non seulement des Bulgares, mais également des ressortissants étrangers établis en Bulgarie et détenteurs de passeports bulgares, notamment des Serbes, des Macédoniens, des Ukrainiens et des Russes.

L’Agence nationale des recettes, informe Standart, a contacté le CIJI en vue d’obtenir l’information concernant la Bulgarie et entend soumettre à des vérifications les personnes physiques et morales figurant dans les pièces. Bien que la loi n’interdise pas le commerce avec et l’enregistrement de sociétés dans les paradis fiscaux, les tentatives d’évasion fiscale ou de blanchiment d’évasion fiscale restent passibles de poursuites.

Selon Krassen Stantchev de l’Institut pour l’économie de marché, l’exportation de fonds depuis des pays à impôts élevés vers des zones à faible taux d’imposition n’est pas une nouveauté, au moins pour les experts qui travaillent sur le blanchiment d’argent, l’économie criminelle, etc. Mais cette fois-ci, c’est le volume des dossiers qui impressionne, ainsi que le fait d’avoir rassemblé dans une seule base de données des documents générateurs. Toutefois, ces révélations n’arriveront pas à changer grand-chose. Les entreprises continueront à chercher des pays à faible taux d’imposition afin de pouvoir préserver leur propre stabilité et offrir des produits à des prix concurrentiels.

En ce qui concerne les politiciens, dans les pays où les citoyens ont vraiment la chance d’élire leurs gouvernants, sans que leurs voix soient manipulées, ceux qui ont exporté leur argent hors du pays ne seront pas réélus. Quant à la Russie, observe M. Stantchev, le montant de 2 milliards de dollars exporté par l’administration du président Vladimir Poutine depuis sa venue à la tête de l’Etat en 2000 semble dérisoire si l’on le confronte aux chiffres avancés par d’autres sources. En effet, beaucoup d’analystes estiment que chaque année, entre 55 et 60 milliards de dollars quittent la Russie. Pour la Bulgarie, selon le Réseau pour la justice fiscale, 29 milliards de dollars ont été exportés du pays entre 1970 et 2010. On estime à 10 milliards de dollars les fonds exportés de 1962 à 1989. Toutefois, une bonne partie de ces fonds est finalement de nouveau rentrée en Bulgarie, conclut l’expert. (24 Tchassa, Standart)

La responsabilité

Après six arrêts de la CEDH condamnant la Bulgarie pour atteinte à la présomption d’innocence, une avocate appelle le gouvernement à exercer une action récursoire contre le coupable

Le Conseil des ministres peut chercher à se faire indemniser par l’ancien ministre de l’intérieur Tsvetan Tsvetanov pour les montants versés par l’Etat à titre d’indemnités à la suite de six arrêts prononcés par la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la Bulgarie. Dans le cadre de ces affaires, l’Etat bulgare a été systématiquement condamné, entre autres, pour violation du principe de la présomption d’innocence de la part de M. Tsvetanov. C’est ce qu’a relevé hier sur la radio nationale (BNR) l’avocate Emilia Nedeva dans un commentaire sur la dernière en date de ces condamnations, rendue publique la semaine dernière.

Se prononçant sur une plainte de 2010, introduite par des personnes détenues lors d’une opération de police spectaculaire, appelée La Pieuvre, la Cour a attribué 109 000 euros d’indemnité au total à Alexeï Petrov, Anton Petrov dit le Hamster et à Plamen et Yordan Stoyanov.

En 2009-2010, le ministère bulgare de l’Intérieur, alors dirigé par M. Tsvetanov, avait effectué dans tout le pays plusieurs opérations policières en vue de démanteler différents groupes criminels. Au cours de ces opérations, la police avait procédé à l’arrestation de plusieurs individus, y compris d’hommes politiques, ce qui avait été largement couvert par les médias. Plusieurs hommes politiques, y compris le premier ministre et le ministre de l’Intérieur, ainsi que différents procureurs et hauts fonctionnaires de la police étaient régulièrement sollicités par les médias pour commenter ces arrestations et les poursuites pénales engagées contre les personnes arrêtées.

Estimant que ces déclarations en public avaient porté atteinte à leur présomption d’innocence, plusieurs des victimes de ces opérations avaient par la suite introduit des plaintes devant la CEDH. Celle-ci avait considéré que ce sont notamment des propos tenus par M. Tsvetanov, en sa qualité de ministre de l’intérieur, qui avaient violé la présomption d’innocence. Il s’agit des plaintes portées par le leader local du PSB et ancien président du conseil municipal à Varna Borislav Goutsanov, de l’homme d’affaires varniote Daniel Slavov dit les Jeans, de l’ancien chef du commissariat de police à Biala Slatina, Toni Kostadinov, etc. Au total, six affaires sur lesquelles l’Etat bulgare a été condamné pour violation de la présomption d’innocence (art. 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) à un total de 200 000 euros d’indemnisation des victimes. De surcroît, la Cour a expressément indiqué la responsabilité personnelle et unique de M. Tsvetanov. En outre, dans un seul cas, dans le cadre de son dernier arrêt rendu sur la plainte d’Alexeï Petrov, la Cour a pointé du doigt la responsabilité d’une autre figure publique, le chef du Parquet de Sofia Nikolaï Kokinov, en même temps que celle de M. Tsvetanov. En revanche, les juges n’ont relevé aucune atteinte à la présomption d’innocence des victimes dans les interventions médiatiques du premier ministre et du procureur général.

Si la loi interdit d’engager la responsabilité des magistrats, dans un souci de garantir leur indépendance et de leur permettre de juger sans crainte de poursuites, rien n’interdit à l’Etat d’engager une action récursoire contre un représentant de l’exécutif, estime Me Nedeva. Au contraire, le fait pour l’Etat d’agir contre un ministre ou un haut fonctionnaire dont la responsabilité est établie, sera bénéfique pour la société. L’Etat a droit à se faire rembourser pour tous les frais subis par la faute d’un représentant du pouvoir exécutif, en l’occurrence, par la faute de l’ancien ministre de l’intérieur Tsvetan Tsvetanov.

Selon Me Emilia Nedeva, en Bulgarie, l’Etat n’a jamais exercé jusqu’à présent son droit à l’action récursoire contre un haut fonctionnaire. Mais ne pas le faire relèverait de la gabegie. Le Conseil des ministres a compétence pour engager un tel recours : d’un côté c’est l’instance qui paie les indemnités au titre des arrêts prononcés contre la Bulgarie par la CEDH et, de l’autre, c’est lui qui apparaît dans le rôle d’« employeur » des ministres. Même si aucune règle juridique n’oblige le gouvernement à procéder à une action récursoire contre l’ancien ministre de l’intérieur, cela reste une question hautement éthique, conclut-elle. (Sega, dnevnik.bg, legalworld.bg)

La conférence

Le « néo-ottomanisme », voilà l’ennemi

« L’islam politique turc constitue la composante la plus agressive du néo-ottomanisme qui est inadmissible dans une Europe laïque. Etat islamique avec des prétentions impériales de toute nature que ce soit, la Turquie ne peut être ni membre de l’UE, ni un partenaire [fiable] en matière de défense dans le cadre de l’OTAN ». Telles sont les principales conclusions d’Ivan Kostov, ancien premier ministre, dans un rapport présenté hier dans le cadre d’un séminaire organisé par le Centre d’analyse et de gestion des risques (présidé par M. Kostov) auprès de la Nouvelle université bulgare et l’Institut Ivan Hadjiïski sur le thème des points controversé du « néo-ottomanisme ».
Selon M. Kostov, l’islam politique turc a été importé en Bulgarie par une intervention de l’Etat turc dans les affaires du culte musulman bulgare. Les financements de ce dernier sont en partie assurés par la Direction turque des cultes (Diyanet). La Turquie détache en Bulgarie de responsables religieux qui deviennent les adjoints de muftis régionaux ou de directeurs d’école religieuse ou encore du recteur de l’Institut supérieur de l’islam. Ainsi, Ankara finance directement plus de 450 imams en Bulgarie ainsi que les deux écoles religieuses secondaires à Momtchilgrad et à Choumen et l’Institut supérieur de l’islam. Il est prévu que ce dernier devienne à terme une antenne de l’Université de l’islam d’Istanbul. La mise en place d’autres antennes de cet Institut est également envisagée dans d’autres pays européens à commencer par l’Allemagne. En effet, selon l’ancien premier ministre, la vocation de cet établissement d’études supérieures religieuses consiste à former des citoyens européens à enseigner l’islam à des représentants des communautés islamiques dans les pays membres de l’UE. Ainsi l’Institut supérieur de l’islam en Bulgarie deviendra un outil d’influence de l’islam politique turc dans les pays européens.
L’apparition de Daech a contribué à l’élargissement du terrain d’action des extrémistes en Bulgarie. Une partie des centaines de Bulgares ayant fait des études en Arabie Saoudite, en Jordanie et en Egypte sont devenus salafistes ou wahhabites et, en leur qualité d’imam facilitent le trafic des combattants de Daech par la Bulgarie, prônent le djihad et l’imposition de la sharia. Leurs premières cibles les plus vulnérables sont les convertis – d’anciens athées ou chrétiens. Il s’agit le plus souvent de Roms qui en voyageant en Europe se radicalisent et contribuent à la construction de l’infrastructure de Daech. Les communautés bulgares isolées sont la deuxième cible la plus vulnérable. Ensuite viennent les jeunes immigrés clandestins. Paradoxalement, les moins vulnérables au risque de radicalisation par l’islam politique turc sont les communautés turcophones (les turcs de Bulgarie) dans la mesure où ils ont des traditions stables, une mémoire historique, sont tolérants et modérés et savent cohabiter avec les chrétiens. Selon une étude sociologique de grande échelle, 4,4% (soit 25 400 personnes) des musulmans bulgares sont radicalisés au point d’être prêts à sacrifier leur vie au nom de leur religion et de considérer que le terrorisme se justifie dans certaines circonstances. Selon, M. Kostov une partie des 12 000 migrants clandestins en Bulgarie s’ajoute aux communautés vulnérables au risque de radicalisation. Ces groupes constituent selon M. Kostov une ressource potentielle pour la propagation de l’islam radical en Bulgarie et en Europe.
En outre, M. Kostov indique que 176 nouveaux lieux de prières musulmans ont été érigés de 2000 à 2014, bien que le nombre de mosquées dépasse largement les besoins de la communauté musulmane : aucun service religieux n’a eu lieu dans 400 mosquées l’année dernière. Le centre d’analyse et de gestion des risques en déduit qu’il convient d’attribuer un rôle symbolique à la construction de nouvelles mosquées par lequel l’islam témoigne de sa présence et de ses prétentions en Bulgarie. « L’échec du néo-ottomanisme peut s’avérer plus dangereux que le néo-ottomanisme même et constitue par conséquent notre grande peur », a conclu M. Kostov.
L’échec du « néo-ottomanisme » est déjà un fait, considère Martin Tabakov, politologue à la Nouvelle université bulgare. La diplomatie turque a dû revoir sa boîte à outils « néo-ottomane ». Ella a dû renoncer à la « force douce » consistant à promouvoir les intérêts turcs comme la nationalité turque en Azerbaïdjan, le passé ottoman dans les pays possédant des minorités musulmanes, des relations économiques gagnant-gagnant avec l’Iran, le dialogue en tant que forme de l’islam en Egypte, la démocratie islamique en Tunisie et au Maroc, l’universalisme musulman à l’égard des Kurdes a dû être abandonnée. Aujourd’hui, les forces turques de sécurité mènent une guerre de positions contre le PKK kurde, frappent les YPG en Syrie. Des forces turques sont également déployées en Irak. Ankara s’est dit prête à intervenir par voie terrestre en Syrie. Le compromis de principe auquel sont parvenus la Russie et les Etats-Unis n’excluant pas la possibilité que Bachar El-Assad reste au pouvoir constitue l’un des échecs cruciaux de la diplomatie turque. Le dénominateur commun de ces défaites diplomatiques est la coalition entre la Russie, l’Iran, le régime d’Assad et le Hezbollah libanais dont le poids ne peut pas être compensé par la coopération d’Ankara avec l’Arabie Saoudite, conclut M. Tabakov. (Standart)

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Dernière modification : 05/04/2016

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