Vendredi 17 mars

La confrontation

Les musulmans bulgares dans l’étau de la lutte électorale entre les deux « partis turcs » de Bulgarie

Deux semaines avant les élections parlementaires, les musulmans bulgares sont devenus les otages de la lutte électorale entre deux partis : le MDL et DOST.

« La pression sur les habitants de la région de Kardjali est extrêmement importante et vient, d’une part, d’émissaires de la Turquie et des représentants de DOST et, d’autre part, des maires du MDL qui menacent les habitants de mettre fin à leur accès aux services et aux aides sociales s’ils ne votaient pas pour le MDL », a déclaré Mehmet Dikme dans une interview à la bTV. L’ancien ministre de l’agriculture (2001-2005) établit un lien entre la situation actuelle des musulmans en Bulgarie et l’époque du processus de régénération. En outre, selon Capital, le Grand muftiat exerce une pression en faveur de DOST. Ainsi les musulmans se retrouvent devant le choix entre le modèle féodal imposé depuis des décennies par le MDL et la dépendance vis-à-vis de la Turquie et d’Erdoğan par l’intermédiaire de DOST.

Les musulmans expatriés en Turquie sont également mis à l’épreuve. La semaine dernière, le ministre turc de la politique sociale a appelé les représentants des associations d’expatriés à soutenir DOST en échange de l’engagement de l’Etat turc à résoudre certains problèmes sociaux et à alléger la procédure relative à l’obtention de la nationalité turque. Bénéficiaires de financements publics turcs et de locaux gracieusement mis à leur disposition par l’Etat turc, ces associations exercent une importante influence sur la communauté d’expatriés bulgares en Turquie. Elles sont également censées pouvoir convaincre leurs membres de soutenir le référendum du 16 avril. Or, la plupart des expatriés ne votent pas pour le parti d’Erdoğan et, selon des représentants de DOST et du MDL, ne sont pas favorables à ce que la Turquie devienne une république présidentielle.

C’est notamment cette crainte du régime en voie de constitution d’Erdoğan qu’Ahmed Dogan, président d’honneur du MDL, exploite dans un message politique dont la presse rend largement compte aujourd’hui. Tout en mettant en valeur le patriotisme unifiant reposant sur le principe de « l’unité dans la diversité » dont la Bulgarie a, aujourd’hui plus que jamais, besoin, il s’oppose au « traitement de mon pays comme un ancien territoire ». « En l’occurrence, il faut que ce soit clair : la pression, le chantage et les menaces visent le rétablissement et la légitimation démocratique du néo-ottomanisme. Le référendum du 16 avril vise la transformation de la république kémaliste en un sultanat. Une folie qui est pourtant un fait… ». Selon Ilhan Andaï, rédacteur en chef du site 24rodopi.com, Dogan appelle les 300 000 à 500 000 électeurs du MDL à choisir entre la liberté et Erdoğan, entre la maison tranquille et le sultanat qui sera instauré à l’issue du référendum.

Du côté turc, le maire de la commune métropolitaine de Manisa a appelé hier les expatriés bulgares et Turquie et les Turcs en Bulgarie à voter en masse le 26 mars pour DOST qui travaille étroitement avec la Turquie pour la sauvegarde des droits de la communauté turque en Bulgarie afin que celle-ci devienne plus puissante, qu’elle ait une vie meilleure et que la langue turque devienne officielle en Bulgarie.

Selon Capital, cette propagande ouverte de la part de la Turquie en faveur de DOST risque de rendre un mauvais service à ce parti qui commence à faire l’objet d’un isolement politique en Bulgarie. Boïko Borissov, président du GERB, a vu un problème politique dans ce soutien puissant de la Turquie à l’égard de DOST, qui avait soutenu sa candidate à l’élection présidentielle de 2016. Trois mouvances (Patriotes unis, Bloc réformateur-Voix du peuple et Nouvelle république) ont appelé le président Radev et la commission électorale centrale à ne pas ouvrir de bureaux de vote en dehors des missions diplomatiques bulgares en Turquie.

Ce contexte est favorable au MDL. Les médias contrôlés par Delian Peevski, têtes de deux listes du MDL, clament « la pression brutale de la Turquie en faveur de DOST ». 24 tchassa initie une discussion sur la possibilité d’interdire la double nationalité. Ce thème sensible pour les expatriés bulgares en Turquie a déjà été exploité par le MDL à l’époque où l’ancien bras droit de M. Dogan, Kassim Dal, avait créé le Parti national Liberté et dignité. Les expatriés étaient alors menacés de se voir priver de la nationalité bulgare s’ils soutenaient ce nouveau parti. Zdravko Popov, philosophe, diplomate et professeur à l’Université de Sofia, affirme que l’idée de supprimer la double nationalité est étudiée dans les cercles diplomatiques. Cela concernerait 300 000 binationaux turco-bulgares et obligerait la Turquie à revoir ses démarches diplomatiques.

En outre, la crainte du lien entre la Turquie et DOST permettrait au MDL de sortir de l’isolement politique dont il fait l’objet depuis le gouvernement Orechrski. Ainsi, le mouvement pourrait s’avérer un partenaire acceptable tant pour le PSB que pour le GERB. Après le scandale en 2015 et le limogeage de Lioutvi Mestan, parti fonder DOST peu après, Ahmed Dogan est considéré comme « l’homme politique qui n’a jamais admis l’ingérence de la Turquie dans la politique intérieure de la Bulgarie et qui ne s’est jamais rapproché du nationalisme radical turque et de l’islam radical ».

Les sociologues se gardent de tout pronostic sur le soutien dont bénéficieront les deux partis aux prochaines élections. Il est également difficile de prévoir la répartition des suffrages des expatriés en Turquie dont 65%, selon un ancien activiste du MDL, irait pour DOST et 35% pour le MDL. (tous médias)

Le consensus

Compléter la clôture, renvoyer les Afghans, réformer Dublin : les réfugiés et la crise migratoire dans les programmes électoraux des principaux partis politiques

A dix jours des élections législatives anticipées du 26 mars, Dnevnik dresse un bilan des différentes propositions électorales sur les réfugiés, la clôture à la frontière bulgaro-turque et la gestion de la crise migratoire dans un article repris par Capital Daily. Globalement, les compétiteurs politiques mettent tous l’accent sur le renforcement de la protection de la frontière et la réforme du règlement de Dublin, commente le journal.

Bien que la question migratoire soit très souvent abordée par les représentants des Patriotes unis lors de cette campagne électorale, Dnevnik souligne que le sujet ne figure pas en tant que tel dans leur programme. Alors que toute une partie de celui-ci est consacrée aux minorités ethniques, on trouve sur la question migratoire seulement une phrase, qui renvoie vers le programme électoral du Front patriotique de 2014.

Dans le programme du GERB, l’accord avec la Turquie sur les migrants est prioritaire. Le texte souligne que l’UE ne devrait pas consacrer tous ses efforts uniquement à la prévention de la pression migratoire en provenance de la Turquie vers les îles grecques. Le parti insiste pour que toutes les frontières terrestres de la Turquie avec les Etats membres de l’UE, c’est-à-dire la Bulgarie et la Grèce, ainsi que les frontières maritimes entre la Turquie et l’UE, fassent partie intégrante de tous les accords avec Ankara. La Turquie devrait également respecter ses engagements concernant le renvoi et la réadmission de migrants. Le régime des visas turcs pour les ressortissants des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique devrait être plus strict et restrictif. Le parti souligne également la nécessité de la mise en œuvre de l’accord avec l’Afghanistan sur la réadmission de migrants afghans. Quant au règlement de Dublin, il devrait être « l’objet d’une réforme plus radicale » afin que le poids du traitement des demandes de protection internationale ne soit pas assumé par les seuls Etats membres ayant une frontière extérieure de l’UE.

Le but principal des socialistes dans le domaine migratoire est l’achèvement de la clôture à la frontière avec la Turquie ainsi que le renvoi de migrants qui ne fuient pas des zones de conflits. Le PSB revendique l’abrogation de l’ordonnance du Conseil des ministres d’aout 2016 relative à l’intégration des ressortissants étrangers bénéficiant d’un droit d’asile ou d’une protection internationale [Ndr : le Conseil des ministres a déjà annoncé qu’il prévoyait d’amender ce texte, voir notre revue du 9 mars]. La révision du règlement de Dublin figure également dans son programme.

Le Bloc réformateur revendique le « déploiement de forces de sécurité européennes à la frontière sud de la Bulgarie ainsi qu’à toutes les frontières de l’UE ». Sont prévues également des opérations conjointes avec le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes afin de renvoyer les migrants sans statut humanitaire vers leurs pays de provenance. Le programme du Bloc prévoit également l’hébergement temporaire des migrants auxquels le statut de réfugiés a été refusé dans des centres de type fermé à la frontière avec la Turquie jusqu’à l’établissement de zones sécurisées en Syrie.

Volonté, la formation de l’homme d’affaires Vesselin Marechki, prévoit l’achèvement de la clôture. Le parti soutient l’établissement de zones sécurisées et de centres d’accueil au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Le MDL soutient la limitation de l’immigration clandestine, sans entrer dans les détails sur la façon d’atteindre cet objectif. Le parti se focalise plutôt sur « la lutte contre le nationalisme extrême et le langage de haine ». (Dnevnik, Capital Daily)

La géopolitique

Ognian Mintchev : la crise politique en ARYM menace l’équilibre régional et les perspectives européennes de l’ensemble des Balkans occidentaux

Une publication du politologue Ognian Mintchev sur son blog, reprise par 24 Tchassa et Capital Daily, traite de la crise en ARYM, une véritable « boîte de Pandore » prête à s’ouvrir dans le voisinage immédiat de la Bulgarie.

Comme il y a seize ans, à l’époque de la signature des accords d’Ohrid, la crise au sein de l’Etat macédonien prend ses racines dans la montée de l’irrédentisme albanais qui jouit à nouveau d’un important soutien international, écrit M. Mintchev. Mais cette fois-ci, les conséquences peuvent être autrement plus dramatiques qu’en 2001.

Qu’est-ce qui a provoqué la crise d’aujourd’hui ? De prime abord, c’est le conflit insoluble entre le régime de Nikola Gruevski, dirigeant de VMRO-DPMNE, et l’opposition, actuellement groupée autour de SDSM. En trois mandats, M. Gruevski et son clan politique (en alliance avec Ali Ahmeti) ont mis la main sur l’ensemble des ressources de l’Etat et leur éviction par voie démocratique est devenue presque impossible. Mais ils doivent compter avec une opposition activement soutenue par les représentants de l’Europe (de l’Occident) à Skopje qui ont exercé une pression importante en vue de la tenue d’élections anticipées. Les marchandages partisans dans la politique macédonienne ont vite acquis une dimension géopolitique : on a vu apparaître dans les meetings de VMRO des portraits de M. Poutine. Moscou prend de plus en en plus souvent position en faveur du régime de M. Gruevski. Ankara, à son tour, ne se gêne pas pour envahir de nouveaux espaces dans la communauté albanophone. Le récent parti albanais Besa est sous influence turque et un autre nouveau venu, l’Alliance des Albanais, prend de l’ampleur.

Les élections législatives anticipées ayant abouti à une quasi-parité (1% de différence entre VMRO et SDSM), la formation d’un nouveau gouvernement est désormais entre les mains des représentants de la communauté albanophone. Mais le jeu brutal de Tirana et la plate-forme proposée par Edi Rama, qui a réuni tous les partis albanais de l’ARYM (y compris le soutien du statu quo Ali Ahmeti), est humiliante pour les Macédoniens et leur pays : statut de seconde langue officielle pour l’albanais, refonte de la Constitution et des symboles de l’Etat (drapeau, hymne…). Bref, création d’une fédération bi-zonale sans délimitation territoriale des communautés afin de pouvoir laisser libre cours à l’expansion albanaise.

Après le refus de VMRO de former une coalition avec les partis albanais, le président de la République a bloqué la formation d’un gouvernement par le SDSM sur la plate-forme proposée par Tirana. Ainsi, la crise politique est entrée dans une nouvelle phase.

Le soutien ouvert témoigné par les représentants de l’Occident pour le SDSM et le facteur albanais est l’expression d’un primitivisme géopolitique. Le régime du parti de M. Gruevski engendre de moins en moins de sympathies depuis une dizaine d’années à cause de son clanisme, de la corruption et du blocage de l’intégration euro-atlantique de l’ARYM. Mais le soutien occidental aux Albanais et à leurs prétentions démesurées envoie la majorité des citoyens et VMRO-DPMNE lui-même dans les bras de la Russie de M. Poutine, prompte à occuper les vides stratégiques un peu partout dans les Balkans, en ARYM, en République serbe de Bosnie, en Serbie et, bien sûr, en Bulgarie. Il faut que l’Europe et l’Amérique arrêtent d’encourager unilatéralement le facteur albanais dans les Balkans au détriment de tous les autres. Après l’indépendance imposée du Kosovo, voilà qu’on prépare la création d’un troisième Etat albanais dans la partie occidentale de l’ARYM. N’est-il pas temps de prêter attention à la construction d’au moins un Etat albanais normal, au lieu de tolérer des quasi-Etats de type mafieux où fleurit l’arrogance du crime organisé, des politiciens corrompus et d’un clanisme intraitable vis-à-vis de toute communauté non albanaise ?

Il faut que les voisins de l’ARYM, et la Bulgarie en premier lieu, formulent des positions claires et nettes sur la crise dans ce pays. La politique de M. Gruevski peut paraître ridicule avec son ambition de donner au pays une « identité antique », mais l’existence de l’ARYM est d’importance clé pour la stabilité d’une région dont l’histoire regorge de rivalités et d’appétits pour contrôler la Macédoine. L’irrédentisme arrogant du facteur albanais est en train de détruire le rapport de force fragile au sein de la société macédonienne et d’y compromettre définitivement l’esprit d’Etat.

La Bulgarie a besoin d’une politique publique plus sensée et plus active vis-à-vis de l’ARYM. Si la boîte de Pandore s’ouvre, elle aura à sa frontière un Etat failli, champ de partage entre les intérêts de Moscou et d’Ankara, au détriment de l’intégration européenne de toute la région des Balkans occidentaux. Sofia doit œuvrer activement pour mettre en place une politique européenne raisonnable à l’égard de l’ARYM et mettre fin au primitivisme géopolitique de protection sans principes du facteur albanais dans les Balkans. Mais quant à savoir si la Bulgarie peut se permettre une telle politique responsable, c’est une autre question, conclut M. Mintchev. (https://ognyanminchev.wordpress.com)

Dernière modification : 02/05/2017

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